Marchons dans la pluie | |||||||||||||
Rien ne vaut une bonne ballade à pied dans la cité. Parcourir les rues sans raison, aller au hasard de ses envies, ne rien être de particulier si ce n'est un piéton, un itinérant parmis les pressés, les avec but, ceux qui savent où aller. Et le sommum de ce non être, c'est se perdre dans ce centre de l'activité à rêvasser en mirant les façades ou ses pieds à sa guise, à trainer du pied droit pour savoir si l'on va à gauche et à trainer du pied gauche pour savoir si l'on va à droite, à hésiter entre une ruelle et une rue, entre un pont et la baignade.
Le simple spectacle de toute l'activité déployée autour de soi suffit à se délasser, à relâcher ses tensions et ses rides ; ce bain de foule électrisée fait l'effet d'un électrochoc et vous vide la mémoire des obligations et des tracasseries. Un pas, puis un autre, et encore un, le plaisir à l'état brut, la seule raison de marcher est alors marcher, mais sans même la contrainte de la marche qui ne devient qu'un automatisme oublié, un prétexte à l'isolement.
L'univers réduit à soi-même par l'immersion totale dans les autres, la présence de la multitude pour renforcer le soi, le rien par le tout, le moi par le eux. On avance et à chaque pas la conscience du soi s'isole et se retrouve. On arrive doucement à se regarder et finalement à pouvoir regarder les autres, à les contempler dans toute leur efficacité, et à admirer leur inneficacité sous-jacente.
Une foule ni trop dense, ni trop claisemée, voilà le secret, pouvoir regarder, mais ne pas être vu, pris dans la masse compact de l'anonymat collectif citadin. Alors les pas suivent la frénésie collective, courent dans les rues, traversent les trottoires, enjambent les avenues, et parcourent les fleuves. Les pas guides de rue en rue, de place en place, et amènent toujours aux mêmes points. Un grande ville est si petite pour celui qui la parcourt au hasard, ses chemins s'y croisent et s'entrecroisent sans cesse, ses pieds s'emmêlent et le ramènent toujours aux mêmes points, le soleil à beau fuir entre les immeubles, toujours il éclaire les pas du passant. C'est alors que fatigué et repus d'autrui tout à la fois, les pieds laissent parler les reins et qu'un siège à une terrasse de café stratégiquement choisie au hasard se trouve propulsé comme par miracle pour le repos du marcheur.
Là un café dans sa tasse croise traditionellement la main attardée sur le rebord de table et vient soulager la saine fatigue acquise au cours de cette entrelas de pas entrecoupés d'enjambées et de petits sauts. Sublime dégustation qui permet de contempler à loisir ses contemporains qui passent comme des étoiles filantes dans le champ de vision restreint du consommateur assis et passif que l'on est attablé à une terrasse.
Rien ne semble pouvoir venir entamer la quiétude de l'errant enfin posé, il est là à mirer le passage du temps et son oeil est dédié à la poursuite des anonymes qui défilent devant lui l'enfonçant toujours plus dans la contemplation de leurs mannies. Mais voilà que survient la pluie salvatrice des villes, la grande nettoyeuse qui revient comme la grande aiguille de l'horloge revient à toujours à midi. Le trotteur prévoyant aura prévu son parapluie et ne sera pas surpris pas l'intempérie, mais rien n'est plus traître que la ville et sous ses pas innocents se trament déjà un drame horifiant... Comment le dormeur des rues aurait-il pu prévoir la traitrise de celles-ci ? Rien ne laisse à prévoir la scène d'horreur qui va suivre... Comment se douter que des esprits retords ont tout prévu ?
D'un pas assuré le flanneûr s'élance au tracers de la place protégé de son pépin squelettique, à l'abri des gouttes et évitant les traitresses qui s'imissent dans son espace vital, mais voilà, comment prévoir qu'un architecte retord a créé 69 fontaines à même le sol qui n'ont pour seul but que d'humidifier le pied du passant innocent ? La place des terreaux fut donc le tombeau de ses illusions déjà perdues, noyées dans un flot venu du bas en renfort du torrent des cieux...
Beetle